Tes larmes coulent.

Je trouve ça marrant parce que moi, j’ai jamais trouvé ça triste, des larmes. C’est juste joli. Je trouve ça marrant parce que tu caches ton visage derrière tes mains alors que moi, je te trouve belle, quand tu pleures. Encore plus que d’habitude. Et je trouve ça marrant parce que tu pleures jamais, aussi – jamais. Tu aimes te montrer forte. Ne jamais dire ce que tu ressens.
Je trouve ça marrant parce que l’eau qui glisse sur tes joues, tes joues veloutées que j’ai caressées tant et tant, m’évoque la pluie qui glisse contre la vitre que je peux pas voir à l’intérieur de la maison, et c’est joli. Elles ont une couleur amusante aussi. Je trouve ça marrant et je ris tellement, je ris tellement fort, je ris pour en oublier que je suis perturbé, que mon cœur est serré.

Pourtant j’étais persuadé que les larmes c’était pas queq’chose de triste, c’est ça qu’est bizarre aussi. Bizarre bizarre bizarre. Tout est bizarre dans cet univers. La pluie, les gens à la peau toute blanche, la couleur de tes larmes aussi. Rouges foncées. Je suppose que je suis censé être malheureux, parce que c’est ma faute aussi. C’est ma faute si tu pleures, ouais. Tout est ma faute. Je sais ce que j’ai fait – je sais exactement ce que j’ai fait, tu sais, et je crois bien que je m’en veux, je crois que c’est la culpabilité qui m’étrangle et me pique les yeux – je sais et pourtant je suis incapable de dire quoi que ce soit. De nommer l’innommable.

C’est bête tu sais, parce que je t’aime.
Ou plutôt, je t’aimais. Je pense que c’est à ce moment-là qu’on emploie l’imparfait. D’toute manière, j’ai jamais été très doué en conjugaison. Je suivais pas à l’école, ça m’intéressait pas, j’attendais juste les moments où on allait dans la salle où y avait les ordinateurs et puis je m’enfermais dans mon monde à moi, tout codé, mon monde à moi, le monde dont j’étais le Dieu, le maître. Je pouvais faire n’importe quoi. Créer. Donner la vie et tuer si ça m’intéressait.

Je sais pas où tout ça va nous mener. J’ai pas vingt-cinq ans moi, tu sais. Toi non plus d’ailleurs. T’es à peine majeure. Jeune, si jeune. Que dit la chanson déjà ? We are young, we are strong. J’aimerais bien, j’aimerais tant, j’aimerais, j’aimerais, j’aimerais…
Tes larmes ne me plaisent pas trop, en fait. Elles sont jolies mais j’ai l’irrésistible envie de les effacer, de les faire disparaître de ton visage, et de ta mémoire, aussi. Je voudrais que tu oublies.

Tu sais, tu sais, je t’aime. Je t’aimais.
Le temps n’a jamais eu aucun sens pour moi, de toute manière, parce que je suis décalé, il paraît. Je vis des fois la nuit, des fois le jour. C’est le jour que je t’ai rencontrée, aussi – on ne rencontre pas une fée la nuit. Enfin, je t’ai prise pour une fée. J’ai cru apercevoir dans ton dos des ailes aux miroitements irisés, à travers mes lunettes qui déforment trop la réalité. Et puis tu étais belle aussi. Encore plus que maintenant. Je me souviens de ton visage, ton visage à la peau aussi pâle que la mienne, presque grisâtre, presque inhumaine, caché derrière un rideau de longs cheveux noirs, et il m’est venu comme l’envie de les caresser, ces cheveux-là.

Maintenant tes yeux sont rougis, d’un rouge trop sombre pour être celui du sang, et tes cheveux en bataille volètent partout autour de ton visage – tu les as coupés courts il n’y a pas si longtemps, en disant que ça te plaisait. A moi, pas trop. J’aimais bien toucher tes longues mèches sombres, soyeuses, presque brillantes – si j’avais eu l’âme d’un poète, j’aurais peut-être dit qu’elles avaient l’air d’être tissées dans le manteau même de la nuit. Mais je ne suis pas très adroit avec les mots, tu le sais. Alors je disais pas grand-chose. Je disais jamais grand-chose, d’ailleurs. C’est bien le silence, aussi.

Je crois que je regrette de te voir pleurer. Pourtant c’est joli.

Je t’aime, je t’aime. Je t’aimais. Je ne sais plus comment je suis censé faire la différence. Est-ce que c’est triste ? Je n’en sais rien, ma tête est vide, toute vide. Tout ce que je sais, c’est que j’aimerais te prendre dans mes bras et te dire d’arrêter. Mais je peux plus. C’est trop tard. J’arrive trop tard. Toujours trop tard.

Alors je bouge pas, je reste dans l’embrasure de la porte, je te regarde, et je regarde la pluie qui tombe doucement sur toi. Et je voudrais t’appeler – mais j’y arrive pas, tu sais, je voudrais, mais j’y arrive pas, y a quelque chose qui me bloque, qui me retient, et je sens mon cœur battre sourdement dans sa poitrine, mais j’y peux rien j’y peux rien, je suis comme cloué sur place et je te regarde pleurer et pleurer et pleurer, et la pluie tomber et tomber et tomber encore, et ça change rien, ça change rien du tout.

Je voudrais juste avancer sous la pluie et faire disparaître les larmes de ton visage, ces larmes à la couleur si étrange, pas humaines. Je voudrais juste –
Je t’aime, je t’aime. Je t’aime plus. Plus maintenant. Quelqu’un d’autre, qui ? On s’en fout. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime – je t’aime plus. Qu’est-ce qui a changé ? Je sais pas, j’en sais rien. Rien. C’est un mot qui revient tout le temps, un mot qui revient trop. Rien rien rien. Tu ressens quoi pour moi ? Rien. Plus rien. C’est faux. C’est vrai. Non, c’est faux.

Il n’a pas de voix qui se disputent dans ma tête. Il n’y a pas deux voix qui se disputent dans ma tête... Mais tu sais, c’est tout comme. Tout comme si tout était déchiré. Je suis déchiré. Je t’aime – je n’t’aime plus – je t’aimais. Est-ce qu’il y a une différence au final ? Tu le sais toi ? Tu sais plus, tu sais rien, tu pleures plus, plus, plus rien.

Je devrais être content puisqu’au final j’aimais pas tes larmes, mais en fait le sentiment qui me prenait déjà à la gorge s’accentue jusqu’à devenir presque intolérable et je suis toujours pas capable de faire un pas, où même de tendre la main, de te dire viens, on rentre, c’est fini maintenant, je t’aime, je t’aime, je t’aime, tu sais, je le pensais pas, je t’aime – mais je t’aime plus. Peut-être. Peut-être peut-être peut-être. C’est tellement le bordel dans ma tête tu sais. J’ai l’impression d’être deux personnes à la fois et des fois je voudrais m’ouvrir moi-même la cage thoracique pour vérifier si par hasard je n’aurais pas deux cœurs.

Je me souviens que des fois tu posais ta tête sur mon torse parce que tu aimais sentir les pulsations à l’intérieur, et je crois que ça te rassurait, mais j’avais jamais osé te demander s’il te semblait pas que c’étaient plusieurs battements à l’unisson qui résonnaient dans ma poitrine. Je le regrette. Je crois bien que je le regrette.

Je t’aime – je t’aime plus – quelle différence ?

Est-ce que c’est de l’amour si j’ai envie de te consoler, de te bercer, de te faire sourire et que tu cesses d’aller mal, que tu cesses de pleurer ? C’est ma faute, tout est ma faute, et je ris plus, plus comme au début, parce que ça m’a pas empêché de réaliser que j’étais triste. Je t’ai aimée, tu sais. C’est la seule chose dont je suis sûr actuellement. Je peux rien assurer au présent mais au passé si. Je t’ai aimée. Est-ce que je te l’ai au moins dit ? J’en suis pas vraiment sûr, j’arrive plus à me souvenir, tout est mélangé, et je crois bien que c’est mon cœur que je sens se disloquer, parce que je crois bien que je t’aime plus et jamais réalisation ne m’a été plus douloureuse.

Quelqu’un d’autre ? Je sais pas. Peut-être. Ca change quoi ? Je t’aime plus. Je t’aime pas. Pas au présent en tous cas.

Tu trouves ça triste, toi ? C’est pour ça qu’il y a des larmes sur ton visage ? Avant je m’en foutais des larmes. Je croyais juste que c’était joli et ça l’est, seulement voilà – c’est beau et ça fait mal en même temps, un peu comme le couteau finement ciselé que tu tiens dans ta main, il est joli, c’est la seule chose qui ne me soit pas terne en ce moment et pourtant ça coupe, ça coupe, ça coupe, même que là ça coupe ton poignet, tranche et passe et repasse et je vois ton sang jaillir.

C’est bizarre parce que j’ai toujours trouvé ça marrant, cette volonté qu’ont certaines personnes d’en finir parce que quelqu’un qu’elles aimaient ne leur rendent pas ou plus leur sentiment, et je pensais pas que tu serais un jour de ce genre-là –

Ouais mais je pensais pas un jour ne plus t’aimer – est-ce que je t’aime vraiment plus, au final ? C’est le bordel dans ma tête. Tout le temps le bordel. Encore plus que d’habitude, là. Tu sais quoi ? Je t’aime et je t’aime pas. Voilà. Et puis voilà.

Tu pleures plus. Ta jolie robe est tachée d’un sang trop sombre pour qu’il soit vraiment humain. Où peut-être que c’est juste mes yeux. C’est possible. Tu pleures plus. Voilà.

Et je me rends compte que je peux enfin bouger – voilà. –, et je me précipite dehors, je me précipite sous la pluie trop fine, trop violente et trop douce, et tu sais quoi ? Je t’aime je t’aime pas - je t’aime et je t’aime pas – voilà. – c’est ça.

Et je te prends dans mes bras, sauf que c’est trop tard, tu bouges plus, la chaleur commence déjà à quitter ton corps déjà glacé par la pluie.

Et je réalise qu’il y a de ma pluie sur mes joues. C’est bizarre. C’est de la pluie au goût un peu salé, qui perle jusque sur mes lèvres.

Et je t’étreins, je t’étreins, encore et encore. Je sais pas, je sais toujours pas – mais ça n’a plus d’importance, parce que t’es plus là et j’ai mal tu sais, j’ai jamais eu aussi mal de ma vie je crois, j’ai jamais senti mon cœur – ou mes deux cœurs si j’en ai, ça n’a pas d’importance – pulser à cette vitesse dans ma poitrine, à part peut-être la première fois que je t’ai vu, et je crois que celle-là était la dernière. Tu sais, moi je sais pas, je sais rien, mais je crois que je suis désolé, je suis désolé, je suis désolé – et tu sais, je crois que ça a pas d’importance.

Je t’aime et je t’aime pas.

Mais ça a a pas d’importance, parce que voilà, parce que c’est trop tard, parce que t’es plus là.