Latula l’observa un long moment, ses yeux rouges n’exprimaient plus que du néant. Du vide. Elle ne souffrait pas comme elle l’avait imaginé. Comme elle l’aurait presque souhaité ; le mal plus que le silence au fond d’elle.

Les larmes ne dévalaient pas ses joues, comme elle l’avait pensé. Cette scène, qu’elle vivait tout en étant simple spectatrice, comme on regarde une série dramatique, lui laissait simplement du rien, du vide. Comme blasée par la vie elle-même qui n’avait aucun sens en cet instant. Ce corps qu’elle aimait, enchevêtré entre les draps souillés d’indigo, de jaune, serré contre un autre qui n’était pas elle, dans son lit, entre les murs peints de noir de sa chambre.

Son expression n’était que du rien, que du vide tandis que Mituna paniquait, tentait de se redresser, de quitter l’emprise de son moirail – plus que cela, visiblement – qui fixait Latula de ce regard qu’elle avait toujours détesté et craint, de ce regard qui désormais ne lui laissait que du vide et du rien. Ce regard vide et blanc, pureté et chaos à la fois.

Il était victorieux, elle avait perdue. Mais ce combat qu’elle avait toujours su inégal, même sans jamais se l’avouer, dont elle était sortie avec perte et fracas – à première vue, du moins – n’avait jamais vraiment eu de sens.

A ses yeux rouges, ce n’était que du vide, que du rien.

A ses yeux rouges – rouge pétant, rouge passion, rouge amour, rouge colère ou rouge désespoir – cela n’avait aucune signification, telle la voix de l’homme qu’elle aimait qui hurlait mille excuses, mille explications, à n’en plus pouvoir, à n’en plus savoir.

Latula n’ouvrit pas sa bouche. A la place de ses cordes vocales, du rien, du vide.

L’homme qu’elle aimait. Ces mots avaient-ils encore du sens ? Non. Aucun. Sans doute aucun. Elle passa une mèche d’encre derrière son oreille pointue, caressa longuement la peau lunaire, grisâtre de sa joue. Mituna s’approchait, un drap noué autour de sa taille. Elle devrait pleurer ou être en colère, comme elle le croyait, comme elle l’avait imaginé. Mais dans sa tête, que du rien, que du vide.

Déjà, quand avait vu le sourire éclatant du jeune homme quand il lui parlait de Kurloz, elle avait comprit. Elle avait comprit que l’amour n’était plus. Elle s’était dit qu’elle saurait se taire, tout en restant son ombre. Puis, il y avait eu ce baiser. Et finalement, ce pressentiment. Elle était rentrée en courant, la respiration laborieuse.

Une respiration devenue soudainement calme au moment où elle ouvrit la porte. Au moment où elle vit cette personne si chère à ses yeux sous son plus-que-moirail et ce dernier, l’air vaguement agacé d’être dérangé – mais qui arrivait à lire les expressions de Kurloz ? Latula doutait même de la capacité de Mituna à le faire – encore plus par elle. Et Mituna. Mituna qui s’agitait qui hurlait et murmurait, ne sachant que faire. La voix de la jeune fille s’éleva alors, comme un écho de rien, un écho de vide :

« Je reviens dans deux heures. »

Elle avait alors fermé la porte.

Et les larmes qui coulaient sur ses joues, bleues et silencieuses, étaient comme du rien, étaient comme du vide.