Votre nom est-
Non, attendez. Vous n'avez pas de nom. Les noms sont pour les entités conscientes. Ce que vous n'êtes pas.
Ce qui est pourquoi adopter votre point de vue pause beaucoup de difficultés, mais nous ne sommes pas là pour de l'introspection, bon sang. Nous sommes là pour une MAGNIFIQUE HISTOIRE D'AMOUR. Une ROMANCE COMME AUCUNE AUTRE.
En plus, vous pensez que c'est drôlement injuste de vous considérer comme un objet plutôt qu'une personne. Parce que vous en êtes une. Une personne même plutôt philosophe.
Une personne de quatre mètres de haut faite de métal et de câbles, mais une personne tout de même, et votre philosophie est simple :
Obéir aux ordres.
Ce qui est plutôt facile. Le seul ordre que vous ayez jamais reçu étant de supprimer des vies. Vous êtes fait pour, après tout.
Vous avez un petit surnom affectueux.
Rouge.
Rouge quarante-et-un-mille-trois-cent-cinquante-sept virgule huit.
Pourquoi la virgule, vous ne saurez jamais.
Pourquoi rouge, non p-
Si. Bien sûr que si. Vous êtes rouge. Ce n'est pas compliqué, bordel.
Il n'y a pas si longtemps, vous aviez un être organique pour vous occuper de vous, et il vous appelait comme ça. Vous l'aimiez bien, lui et ses belles démonstrations d'affection dont vous gardez encore quelques marques que personne n'a jamais pensé à réparer.
Mais ça n'a pas d'importance. Votre nom n'a pas d'importance. Rien n'a d'importance.
Car enfin, vous savez que votre existence n'était pas sans but. Enfin, vous savez que vous avez un coeur et une âme ; et son Impériale Condescendance vous pardonne, mais on vient de vous les voler, avec une subtilité et une maîtrise que vous ne pensiez pas exister dans le monde de cruauté et de barbarie dont vous êtes issu.
Il est d'une taille ridicule comparé à vous ; mais vous n'en avez cure, car vous avez désormais conscience que la stature ne fait pas l'individu. Il n'est pas fin d'apparence, mais sa beauté resplendit malgré tout dans chacune de ses courbes parfaites et harmonieuses, telles que vous n'en avez jamais vues. Ce n'est pas la première fois que vous croisez quelqu'un de son espèce, pourtant. Vous en avez vu tant et tant, des mêmes que lui, et aucun d'entre eux ne valaient quoi que ce soit. Lui est une exception, et si le destin des autres semblait logique et inévitable, le sien vous paraît une aberration. Il doit survivre. Il doit rester pur. Et vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour vous protéger.
Avec le plus de délicatesse possible, vous vous emparez de lui. Il ne proteste pas, son visage impassible, ses émotions illisibles. Vous l'admirez tant, déjà, et tant pis si vous ne le connaissez que depuis quelques minutes. Il vous semble que vous avez attendu toute votre vie d'être béni par sa seule présence.
Vous ne le méritez pas, mais au diable cela. Vous savez qu'au fond de lui, il a conscience que vous étiez faits l'un pour l'autre, et que vous vous connaissiez déjà dans d'autres vies, et que vous vous rencontrerez encore dans les suivantes.
Ver de terre et étoile. Arbre mort et fleur resplendissante.
Drone et seau.
Ensuite un troll étrange et probablement insupportable sort de l'eau avec un pistolet ridicule et vous hurle de « lâcher son putain de seau immédiatement, j'en ai besoin, pour vivre ». Il n'a pas le temps de réaliser qu'il est censé être terrifié à votre simple vue avant de se retrouver coupé en deux.
Et c'est ainsi que se termine l'histoire du continuum damné le plus émouvant de tout l'univers paradoxal.